Fabriquer de l'obésité : en accusation le marché minceur !


 Obsession régime : être mince, pour être aimé - Mieux-vivre - Le Télégramme 

Publié le 02 avril 2022 à 07h00 Journaliste santé : Christine BAUDRY

Les injonctions à maigrir émanent souvent des marchands d’illusions qui surfent sur les messages de santé publique relatifs aux dangers du surpoids

Alors que les dangers des régimes ont été amplement démontrés, ils ne cessent de faire recette. En toile de fond du vaste marché de la minceur : la peur panique de ne pas être aimé.

À chaque printemps, l’injonction à maigrir revient en Une des magazines en papier glacé : l’été sera beau, il faut maigrir ! Et cela dure depuis des décennies. Avant, il fallait perdre trois kilos pour enfiler un maillot de bain ; maintenant, il faut carrément se fabriquer un corps de rechange, le « summer body » (ou « corps de l’été »). Les régimes amaigrissants sont des passeports pour l’obésité ? Qu’à cela ne tienne ! On dira alors « méthodes » ou « formules “minceur"» . Mais sous les étiquettes, les recettes soi-disant « révolutionnaires » restent assez semblables. Vous avez aimé les graisses de Montignac ? Voici désormais la diète Kéto, et le taux de cholestérol qui va avec.

Un business anti-graisse

Pour Catherine Grangeard, psychanalyste et psychosociologue, qui a consacré de nombreux travaux à la perception du poids, les injonctions à maigrir émanent avant tout du business anti-graisse, un secteur économique qui représente environ 4 milliards de chiffre d’affaires par an en France. Une vraie poule aux œufs d’or. Le modèle est bien rodé : créer le problème pour vendre ses solutions. Exalter la maigreur en modèle de beauté pour mieux nous pousser aux régimes. Des régimes qui font reprendre des kilos surnuméraires que les marchands d’illusions nous somment ensuite de perdre avec de nouveaux régimes, ou de nouvelles crèmes anti-cellulite... tout en surfant sans vergogne sur les messages de santé publique relatifs aux dangers du surpoids. L’alimentation équilibrée et l’exercice physique recommandés par la médecine ne font pas le poids face aux illusionnistes : « Maigrir vite et sans effort ! » Devinez qui gagne ?

« Edward Louis Bernays, le publicitaire américain, qui a théorisé les techniques d’incitation à la consommation de masse, était le neveu de Sigmund Freud. Il s’est appuyé sur le concept psychologique de désirabilité », rappelle Catherine Grangeard. Par exemple, dans les années 1930 aux États-Unis, E. Bernays a ainsi fait s’envoler le tabagisme chez les femmes en présentant la cigarette comme une émancipation et en recourant, déjà, à l’argument minceur. « Pour introjecter un impératif de minceur dans tous les esprits, les gens de marketing ont créé un lien implicite entre désirabilité et minceur. Comme notre survie en tant qu’êtres humains dépend des autres, il faut donc être aimable - ou désirable - pour être sûr d’être entouré.

La grossophobie : une haine de soi

Dès le berceau, le bébé perçoit que l’amour de ses parents lui garantit de manger et boire. L’injonction à la minceur va donc bien au-delà d’une simple invitation à être belle ou beau : il faut être mince pour être aimé, il faut être mince pour survivre », explique Catherine Grangeard, autrice notamment de « Comprendre l’obésité, une question de personne, un problème de société » (éditions. Albin Michel). Ce besoin est si profond qu’il balaye la raison et nous pousse à rêver d’une silhouette incompatible avec notre morphologie par exemple. Incapable de nous autoévaluer au travers d’autres prismes que celui du poids, on se dit « je déteste mes bourrelets » et on n’arrive pas à penser « je suis quelqu’un de super.» Et ainsi s’installe la grossophobie. Il s’agit bien d’une « phobie », une peur aussi disproportionnée et irrationnelle que celle des araignées ou des aiguilles. « La grossophobie est une forme de haine de soi pour les personnes qui sont en surpoids ou... qui croient l’être », note la thérapeute. « Mais c’est aussi un rejet de l’autre, de celui qui me rappelle que je pourrais grossir. Elle se traduit donc par un rejet et un discours de haine. »

Et une discrimination

La grossophobie est une discrimination reconnue par la loi en général (articles 225-1 et suivants du Code pénal) et le Code du travail en particulier (article 1132-1 et suivants). Mais au niveau éthique, la société peine à admettre la violence infligée aux victimes. « Ce n’est pas bien méchant d’appeler un enfant "bouboule"», prétendent encore bien des parents et enseignants. Cela le devient plus quand la grossophobie conduit à envisager, sans état d’âme, la mort des personnes obèses pendant la pandémie. Combien de messages sur les réseaux sociaux pour dire qu’il était acceptable de se confiner « pour sauver la vie des vieux » (et encore..), « mais sûrement pas celle des gros ! »

Le « gros » : peu importe le contexte psychologique, médical, éducatif ou social de sa prise de poids ; peu importe qu’il soit plus réceptif que son voisin aux méfaits d’une alimentation industrielle surchargée en sucres, sels et lipides... la plupart des gens pensent qu’il est le seul responsable de son état. D’ailleurs, il faut qu’il en soit ainsi, sinon cela signifierait que tout le monde peut grossir à son image ! Qu’il se mette au régime !

Et c’est ainsi que la grossophobie, à son tour, fait tourner la machine à nous faire grossir...

POUR en savoir plus : lire 



Les injonctions sur le physique que ce soit une morphologie de minceur ou de jeunesse relèvent toujours de normes, à interroger pour s'en libérer !



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